lundi 16 avril 2018

Sale temps pour Naso...


            Voici le texte de la conférence que j'ai donnée à Toulouse, à la libraire Ombres Blanches, le 29 mars dernier, à l'invitation de l'Association de la Région Toulousaine pour l'Enseignement des Langues Anciennes (ARTELA).

METEOROLOGIE ET TEMPORALITE DANS LES TRISTESSES D'OVIDE

            Par un jour d’automne de l’an 8 ap. J.-C. – qui n’était sûrement pas un beau jour – Ovide reçoit un édit de l’empereur Auguste lui enjoignant de quitter Rome et l’assignant à résidence à Tomes, sur la côte occidentale du Pont-Euxin (l’actuelle mer Noire), au fin bout de l’empire, à l’emplacement de la ville moderne de Constanţa, en Roumanie. Ovide avait alors cinquante ans et espérait passer une vieillesse sereine, profiter d’un otium qu’il pensait avoir mérité. C’est ce qu’il confie au lecteur dans une élégie des Tristesses :

Mes tempes, désormais, ressemblent aux plumes du cygne
            Et la vieillesse teint en blanc mes noirs cheveux.
La faiblesse me gagne et mon âge est sur le déclin ;
            J’ai du mal à me soutenir et je chancelle.
Ce devait être le moment, mes travaux terminés,
            De vivre sans subir les tourments de la crainte,
De jouir de loisirs que j’ai toujours affectionnés,
            De m’adonner avec mollesse à mes études,
De chanter mon petit chez moi et mes bons vieux Pénates,
            Et les champs paternels – qui ont perdu leur maître –,
Et de vieillir dans ma patrie, sans souci, entouré
            De mon épouse aimante et de mes chers amis.
Voilà ce que jadis je m’étais pris à espérer,
            Telle est la fin que j’aurais mérité d’avoir.
Tristesses, IV, 8, 1-14

L’édit de l’empereur a tout d’un coup de tonnerre dans un ciel serein, et Ovide se déclare

(…) aussi abasourdi qu’un homme foudroyé
            Par Jupiter, toujours en vie mais inconscient.
Tristesses, I, 3, 11-12

Il n’y a pas lieu de revenir ici sur les raisons de son exil[1] : notre propos est de prendre la mesure du changement, consécutif à cet événement, dans la façon dont Ovide perçoit le temps qui passe et, dans une moindre mesure, supporte le temps qu’il fait.

Ovide est tenu par l’édit impérial de quitter l’Italie sans délai, si bien qu’il doit partir – probablement de Brindes – en direction de la Grèce à la fin du mois de novembre, c'est-à-dire pendant la période dite de mare clausum[2] (mer fermée), pendant laquelle les bateaux sont censés ne pas naviguer.
On ne sait exactement combien de temps dura le voyage[3]. Jacques André propose la chronologie suivante : « Le voyage d’Ovide a duré quatre mois. Parti de Brindes à la fin de novembre de l’an 8, il a débarqué à Tomes à la fin de l’hiver, vraisemblablement vers l’équinoxe de printemps de l’an 9 » (Tristes, C. U. F., 1968, p. XXIII).

            Les conditions météorologiques qu’Ovide connaît pendant la traversée sont mauvaises. Sans doute était-ce un premier effet de la punition d’Auguste, un avant-goût de ce que serait son quotidien. Il essuie une tempête, dont il fait le récit à deux reprises (I, 2 et I, 4). En voici un aperçu :

Malheur ! Quelles montagnes d’eau se forment ! On dirait
            Qu’elles vont tout là-haut atteindre les étoiles.
Quels abîmes se creusent quand la mer s’ouvre ! On dirait
            Qu’ils vont dans un instant toucher au noir Tartare !
Où que je porte mes regards, ce n’est que mer et ciel,
            L’une aux flots grossissants, l’autre aux nues menaçantes.
Entre les deux, les vents mugissent prodigieusement,
            Et l’onde ne sait pas à quel maître obéir :
Tantôt l’Eurus forcit depuis l’Orient rougeoyant,
            Tantôt c’est le Zéphyr, du lointain Occident,
Tantôt l’aride Borée du pôle glacial déferle,
            Tantôt, lui faisant front, le Notus le combat.
Le pilote hésite : où aller, que fuir ? Il ne le sait,
            Tant des maux opposés paralysent son art.
Nous sommes donc perdus, pas le moindre espoir de salut ;
            Je parle, et mon visage est recouvert par l’onde,
Les flots vont m’étouffer, l’eau me noyer en pénétrant
            Dans ma bouche, qui dit d’inutiles prières.
Tristesses, I, 2, 19-36

A cela s’ajoutent les éclairs et le tonnerre :

Malheur ! Quels éclairs rapprochés ont zébré les nuages !
            Quel tonnerre, venu du haut du ciel, résonne !
Tristesses, I, 2, 45-46

A la fureur de Neptune s’ajoute donc celle de Jupiter.
            Ironie du sort, les vents se déchaînent, mais dans la mauvaise direction : au lieu d’emporter Naso vers la Grèce, ils le ramènent vers l’Italie, où il est désormais interdit de séjour[4] :

Que fais-je ici ? Vents rapides, emportez-moi ! Pourquoi
            Vouloir gagner le sol de l’Italie, mes voiles ?
César l’interdit. Pourquoi retenir celui qu’il chasse ?
            Que la terre du Pont voie à quoi je ressemble.
Tristesses, I, 2, 91-94

Voilà donc trois des quatre éléments (l’eau, l’air, le feu, c'est-à-dire la mer, le vent, les éclairs) réunis pour accabler Naso.
Mais ce déchaînement, pris ici au sens propre, doit ailleurs être pris au sens figuré : car ces mêmes éléments font aussi l’objet d’un traitement métaphorique de la part d’Ovide.

            Si l’on représente la vie par l’image d’un voyage en mer, Ovide peut dire avec raison que son exil l’a fait passer de la mer calme à la zone des tempêtes. Voici ce qu’il écrit à un ami :

Tant que j’ai vécu avec toi, qu’une brise légère
            Me portait, ma barque a vogué sur des eaux calmes.
Tristesses, III, 4a, 15-16

Désormais, il doit dire :

Les tempêtes contrarient ma fortune et la malmènent :
            Nul ne saurait avoir plus triste sort que moi.
Tristesses, V, 12, 5-6

Il va jusqu’à se présenter comme quelqu’un qui a fait naufrage, demandant au peu d’amis qu’il lui reste d’offrir « un rivage sûr au naufragé » (Tristesses, I, 5, 36).
Quant aux éclairs, ils constituent une image récurrente pour désigner le coup que l’empereur, assimilé comme il se doit au souverain des dieux, lui a infligé.

« C’est de là qu’est parti l’éclair qui m’a touché. » (Tristesses, I, 1, 72) écrit Ovide en parlant du palais d’Auguste sur la Palatin.

Mais toutes les raisons d’espérer ne sont pas perdues, et c’est encore par le biais d’une métaphore météorologique qu’Ovide se plaît à le dire :

Un dieu, pourtant, peut ne pas se montrer impitoyable :
            Le jour brille une fois les nuages chassés.
J’ai vu un ormeau ployer sous le pampre de la vigne,
            Que Jupiter avait rudement foudroyé.
Tristesses, II, 141-144

En attendant que le temps se fasse plus clément sur le plan métaphorique, les éléments déchaînés se sont calmés et Ovide a fini par arriver à bon port.

Le voici donc à Tomes, où il va découvrir une météo et une temporalité nouvelles. Cette découverte affecte tant sa vie que ses œuvres.
Sur les quatre saisons de l’année, Ovide n’en retient que deux, s’abstenant de parler dans ses vers de l’été et de l’automne.
Il faut expliquer ce choix en pensant à la visée argumentative qui est la sienne : se faire plaindre pour se faire rappeler. L’été est chaud à Tomes, mais à Rome aussi. Ovide n’est donc pas le seul à souffrir de la chaleur estivale et n’est donc pas plus à plaindre que ses compatriotes. Quant à l’automne, c’est une saison de transition, qui ignore les extrêmes.
Le printemps, saison elle aussi de transition, fait pourtant l’objet d’un long passage dans les Tristesses (III, 12 = 54 vers) auquel appartiennent les vers suivants.

Voici que filles et garçons cueillent joyeusement
            La violette des champs, qui pousse toute seule ;
Les prés se couvrent d’un duvet de fleurs multicolores
            Et l’oiseau chante instinctivement le printemps.
L’hirondelle ne veut plus passer pour mauvaise mère
            Et construit sous la poutre un petit nid caché ;
L’herbe, que les sillons de Cérès recouvraient,
            Sort en pointant sa tendre tige hors de la terre.
Là où pousse la vigne, le sarment porte un bourgeon,
            Mais la vigne pousse bien loin de chez les Gètes ;
Là où poussent les arbres, sur l’arbre gonfle un rameau,
            Mais les arbres poussent bien loin de chez les Gètes.
Chez toi, c’est le temps des loisirs, des jeux qui se succèdent ;
            Sur le forum bavard, plus de joutes verbales.
Maintenant, place aux chevaux, place aux armes mouchetées,
            A la balle, au cerceau, qui roule prestement ;
Maintenant les jeunes gens, tout enduits d’une huile fluide,
            Plongent leurs bras fourbus dans les eaux de la source.
La scène bat son plein : chacun applaudit ce qu’il aime.
            Trois forums se sont tus ; trois théâtres résonnent.
Ô ! cent fois, mille fois heureux celui qui a le droit
            De profiter de Rome en toute liberté.
Moi, je vois la neige fondue au soleil du printemps,
            Le lac, dont l’eau n’est plus tirée à coup de pic ;
La mer ne gèle plus, et le Sarmate ne fait plus
            Traverser le Danube à ses chariots grinçants.
Tristesses, III, 12, 5-30

Ovide s’attarde à dénoncer l’infériorité du printemps de Tomes sur celui de Rome : infériorité dans l’ordre de la nature (ni bourgeon sur la vigne, ni rameau sur l’arbre) mais aussi dans l’ordre de la vie civique : Rome voit alors se succéder des jeux que Tomes ignore : jeux en l’honneur de Cybèle du 4 au 10 avril ; jeux en l’honneur de Cérès du 12 au 18 avril ; jeux en l’honneur de Flora du 28 avril au 3 mai. On y assiste à des courses de chevaux et à des représentations théâtrales.
Le retour du printemps va donc de pair, à Rome, avec le réveil d’une nature variée et généreuse, avec le retour d’un otium partagé par l’ensemble de la communauté civique. A Tomes, le retour du printemps est bien marqué par quelques signes d’un  réveil timoré de la nature, par une sorte de retour à l’ordinaire après les rigueurs de l’hiver, mais c’est tout. Aucune manifestation à laquelle Naso puisse être associé, aucune ferveur populaire qu’il puisse partager. Le changement de saison n’a donc pour effet que de mieux lui rappeler tout ce qui le sépare de Rome, tout ce qu’il a perdu.
Mais c’est l’évocation de l’hiver qui va donner à Ovide l’occasion de brosser de Tomes le tableau à la fois le plus saisissant et le plus susceptible d’apitoyer ses concitoyens. Jugeons sur pièce.
Voici, par exemple, ce qu’il écrit à Auguste (Tristesses, II, 189-190 et 195-196) :

Moi seul fus envoyé à l’embouchure du Danube
            Affronter les rigueurs de l’Arctique glacial. (…)
Au-delà, il n’y a rien, si ce n’est le froid, l’ennemi
            Et la mer, dont les eaux sont prises par le gel.[5]

Ailleurs, il détaille :

La neige est là, que durcit le Borée, neige éternelle :
            Elle résistera au soleil, à la pluie.
La première couche n’a pas fondu qu’il en retombe ;
            En bien des lieux, elle tient souvent deux années.
L’Aquilon déchaîné souffle si fort qu’il jette à bas
            Les hautes tours, arrache les toits, les emporte.
Tristesses, III, 10, 13-18

Ce grand froid a, bien sûr, des conséquences sur la vie de tous les jours :

Le vin garde la forme de l’amphore et tient tout seul ;
            On ne le sert pas en coupes mais en sucettes.
Que dire des ruisseaux, que le  froid saisit et enchaîne,
            Et du lac d’où l’on tire l’eau à coups de pic ?
Le Danube, aussi large que le fleuve aux papyrus
            Et qui se jette dans le Pont-Euxin par tant
De bouches, gèle quand les vents durcissent ses eaux bleues ;
            Il coule vers la mer sous un tunnel de glace.
Les bateaux y voguaient ; maintenant, on y marche, et l’eau,
            Congelée, retentit du sabot des chevaux.
Sur ces ponts d’un genre nouveau, sous lesquels passe l’eau,
            Des bœufs sarmates tirent des chariots barbares.
Me croira-t-on ? Pourtant, son intérêt n’étant pas de
            Mentir, un témoin doit être cru sans réserve.
J’ai vu l’immense mer se solidifier en glace,
            Glissante carapace accablant l’eau sans ride.
Mais voir ne suffit pas : j’ai marché sur les flots durcis,
            J’ai foulé à pied sec la surface des eaux.
[41-42]
Alors, les dauphins arqués ne peuvent bondir dans l’air ;
            Quand ils essaient, le dur hiver les en empêche.
Même si le Borée retentit en battant des ailes,
            L’eau ne s’agite pas sur le gouffre glacé.
Les bateaux pris par le gel seront bloqués dans du marbre,
            La rame ne pourra fendre les eaux durcies.
Des poissons, j’en ai vus emprisonnés dans de la glace ;
            Une partie d’entre eux était encore en vie.
Tristesses, III, 10, 23-50

On appréciera à sa juste valeur la remarque de Naso consistant à rappeler qu’il peut être cru sans réserve puisque son intérêt n’est pas de mentir. Juste de durcir les traits ?... Mais il est vrai que le Danube gèle en hiver et s’il avait eu à sa disposition notre technologie, Ovide n’aurait pas manqué de poster une vidéo du Danube ou de la mer Noire pris par la glace – faites un tour sur YouTube en rentrant chez vous, et vous verrez qu’il n’exagère pas tant que ça…

 
Sur le Danube gelé...

Au-delà des faits, on comprendra en quoi cette description peut impressionner les compatriotes d’Ovide : le vin, tenu à l’état normal pour une association paradoxale de liquide et de chaleur devient ici une association proprement inconcevable de solide et de froid. Dès lors, comment faire une libation ? Comment offrir aux dieux les prémices de sa coupe ? En laissant tomber sur le sol quelques glaçons ? Le vin est privé de sa dimension culturelle et religieuse.
On voit aussi quel changement affecte la surface de la mer. Pour les Romains et les Grecs, elle est en perpétuel mouvement ; qu’on se rappelle la formule par laquelle Eschyle évoque les « vagues de la mer, sans fin souriant » (Prométhée enchaîné, 89-90). A Tomes en hiver, plus question de sourire, plus question, même, de vagues : la mer s’est transformée en une vaste étendue lisse et solide. Elle qui est censée relier les hommes s’est figée au point de devenir une barrière infranchissable aux bateaux, au point de les retenir prisonniers. L’élément liquide par excellence s’est transformé en glace, s’est métamorphosé en marbre, est devenu minéral.
Même les animaux qui la peuplent et dont elle est le milieu naturel en pâtissent : les dauphins ne peuvent faire les bons gracieux que l’on sait, et les poissons, aussi mobiles en temps normal que l’eau elle-même se retrouvent pris dans la glace.
Quant au Danube, lui aussi devenu solide, il permet aux barbares de la rive gauche de passer facilement sur la rive droite, en commettant les exactions que l’on sait :

Si la force du Borée, ses sauvages excès gèlent
            Les eaux du fleuve en crue ou celles de la mer,
Si l’Aquilon souffle sec sur le fleuve qu’il arase,
            L’ennemi barbare, à cheval, se rue sur nous.
Tristesses, III, 10, 51-54

            A la rigueur de l’hiver s’ajoute la terreur des hordes sauvages : c’est double peine pour notre poète…
Les destinataires de ses lettres l’auront bien compris : Naso vit dans un monde étranger à ce que les Romains ont pu expérimenter, dans un monde étrange, anormal, impossible à concevoir dans l’espace physique. Un monde qui relève donc de l’adynaton – de « l’impossible » – ce procédé de style qui consiste à inviter le lecteur à imaginer l’inimaginable. Eh bien, Ovide n’a pas besoin de faire des efforts d’imagination pour y parvenir : il expérimente l’inimaginable.

         Si l’hiver a sur l’eau et le vin la conséquence que l’on sait, on peut dire que l’exil a pour conséquence sur Naso un changement dans sa perception du temps qui passe.
De fait, le changement est radical puisque, justement, Naso a le sentiment que le temps ne passe pas, comme s’il s’était arrêté le jour de son départ de Rome. Il s’en plaint à de nombreuses reprises.

Pas d’ami pour me consoler, me raconter de quoi
            Tromper le temps, qui s’écoule si lentement.
Tristesses, III, 3, 11-12

            Ailleurs, il confie que son premier hiver à Tomes lui semble être le plus long de tous ceux qu’il a connus :

Voici que les Zéphyrs chassent les froids ; l’année s’achève,
            Et jamais un hiver ne m’a paru plus long.
Tristesses, III, 12, 1-2

Il se lamente :

Que mon destin, hélas ! suit son cours lentement ! 
Tristesses, IV, 1, 86

            Mais c’est dans l’élégie V, 10, 1-14 qu’Ovide est le plus explicite :

Depuis mon arrivée, trois fois l’Hister s’est congelé,
            Trois fois les eaux du Pont-Euxin se sont durcies.
J’ai pourtant l’impression d’être éloigné de ma patrie
            Depuis autant d’années qu’a duré le siège de Troie.
Le temps semble immobile tant il passe lentement,
            Tant l’année accomplit son trajet à pas lents.
Le solstice n’abrège en rien la durée de mes nuits,
            L’hiver n’écourte pas la longueur de mes jours.
Sans doute la nature a fait une exception pour moi,
            Alignant tout sur mes sempiternels soucis.
Le temps suivrait-il donc pour tous son cours habituel
            Et réserverait-il des jours plus rigoureux
A celui que retient la côte de l’Euxin, si mal
            Nommé, et la Scythie, assurément sinistre ?

            On mesurera la différence entre la plainte de l’exilé et la plainte de l’amant qui voulait retenir la nuit qui lui semblait passer trop vite : « lente, lente currite noctis equi » (Amours I, 13, 40). On rapprochera aussi ces vers de cet extrait des Métamorphoses (X, 519-520) :

Le temps passe à tire d’aile et file sans qu’on le voie ;
Rien ne passe plus vite que les ans.

Si Ovide a l’impression que le temps ne passe pas, son corps est pourtant là pour lui rappeler que la vieillesse a prise sur lui et avance justement d’autant plus vite qu’il la passe dans de mauvaises conditions :

Moi aussi, je supportais avant mieux que maintenant
            Des maux que les jours, en passant, ont décuplés.
Oui, je suis à bout de force et, quand je vois mon état,
            Je gage que je ne souffrirai plus longtemps.                                                  40
J’ai perdu ma vigueur, j’ai perdu mes couleurs d’avant ;
            Je n’ai quasiment plus que la peau et les os,
Mais mon esprit est plus malade que mon corps malade
            Et contemple sans fin le mal qui le consume.
Tristesses, IV, 6, 37-44

Ces deux derniers vers nous font bien comprendre que le corps n’est pas le seul à vieillir : Ovide se plaint ailleurs encore des dégradations que le passage du temps combiné avec sa misère quotidienne causent à son esprit :

Ajoute que mon esprit s’est, à la longue, rouillé ;
            Il n’a plus rien à voir avec ce qu’il était.
Si la charrue ne fend pas fréquemment un champ fertile,
            Il ne portera plus que ronce et que chiendent.
Un cheval qui n’a pas couru depuis longtemps court mal ;
            D’entre ses concurrents, il finira dernier.
Une barque longtemps laissée hors de son eau finit
            Par pourrir, par se ramollir et par se fendre.
N’espère pas qu’un jour je redevienne celui que
            J’étais avant – et je n’étais déjà pas grand.
Subir longtemps des malheurs réduit l’esprit à néant :
            Il ne reste plus rien de ma vigueur passée.
Tristesses, V, 12, 21-32

C’est donc son activité de poète qui est menacée par l’usure du temps.
Plus grave encore : le temps passant, Naso finit par perdre l’usage de la langue latine :

Souvent je cherche un mot, un nom ou un passage ; il n’est
            Personne par qui je puisse être renseigné.
Souvent, lorsque je voudrais dire quelque chose, ô honte !
            Les mots me manquent : j’ai désappris à parler.
Je n’entends résonner autour de moi que thrace et scythe
            Ou presque, et je pourrais, je crois, écrire en gète.
Oui, j’ai peur que des mots pontiques ne se soient mêlés
            Aux mots latins, que tu n’en trouves dans mes vers.
Fais donc grâce, je t’en prie, à mon livre, quoi qu’il vaille,
            Et que ma situation lui tienne lieu d’excuse.
Tristesses, III, 14, 43-52

Il le redit plus loin, en des termes tout aussi forts :

Et moi, le poète romain – Muses, pardonnez-moi –,
            Je dois le plus souvent m’exprimer en sarmate.
J’ai honte de l’avouer mais, ne parlant plus latin
            Depuis longtemps, j’ai du mal à trouver mes mots.
Et je suis sûr que même dans ce livre il s’est glissé
            – La faute au pays, pas à moi – maint barbarisme.
Pour ne pas perdre, toutefois, l’usage de ma langue
            Et ne pas me retrouver muet en latin,
Je me parle, j’emploie les mots que je n’employais plus
            Et je retourne aux études qui m’ont perdu.
Tristesses, V, 7, 55-64

Auguste avait donc trouvé une punition bien cruelle : priver le plus brillant des poètes de son temps non de ses biens ni de son statut de citoyen mais de son art, mais de sa langue.

Puisque Naso subit, comme tout le monde, les effets délétères du temps[6], peut-il au moins espérer en subir, comme tout le monde, certains effets bénéfiques ? Car le passage du temps n’a pas que des inconvénients…
Le plus grand bienfait que le passage du temps puisse procurer à Naso est l’oubli, entendons l’oubli de ses maux. Mais, là encore, il semblerait que la nature ait fait une exception :

Avec le temps, le taureau s’habitue à la charrue,
            Offre son cou au joug recourbé qui lui pèse ;
Avec le temps, le cheval fougueux se soumet aux rênes,
            Accepte sans broncher la dureté du mors ;
Avec le temps, la fureur du lion punique tombe,
            Sa férocité de naguère disparaît ;
L’éléphant d’Asie suit les consignes de son cornac :
            Avec le temps, il supporte son esclavage.
Le temps fait gonfler le raisin en grappes qui grossissent,
            Et ses grains ont du mal à contenir leur jus ;
Le temps fait germer la semence en épis qui blondissent,
            Veille à ce que les fruits perdent leur âpreté,
Rogne le soc de la charrue qui retourne la terre,
            Use le dur silex, use le diamant,
Apaise peu à peu la colère, même furieuse,
            Atténue le chagrin, dissipe la tristesse.
Le temps qui s’écoule d’un pas silencieux peut donc
            Tout amoindrir à l’exception de mes soucis.
Tristesses, IV, 6, 1-18[7]

Si notre poète échappe à la règle générale, il faut souhaiter que l’empereur, lui, n’y échappe pas. Naso pourra donc espérer que la blessure qu’il lui a infligée finisse par cicatriser et qu’Auguste, usant d’un pouvoir de thaumaturge, referme la blessure qu’il a lui-même infligée à Ovide. Celui-ci le dit à plusieurs reprises, mais jamais mieux qu’ici :

            Prie religieusement le dieu qui t’a frappé :
C’est lui qui peut te fournir un char volant et des ailes :
            Qu’il te laisse rentrer, et te voici oiseau.
Je crains qu’en formulant ce vœu, je n’en demande trop ;
            Je ne peux, en effet, rien demander de mieux.
Peut-être un jour, quand sa colère se sera calmée,
            Pourrai-je, tout tremblant, le formuler encore.
En attendant, maigre faveur mais qui pour moi n’a pas
            De prix, qu’il me transfère où il veut hors d’ici.
Tristesses, III, 8, 14-22

Le temps qui passe sur Auguste est donc censé jouer en faveur d’Ovide puisqu’il apporterait à l’empereur l’oubli de l’offense. Naso peut toujours l’espérer…

Mais il ne faudrait pas non plus que le temps qui passe, porteur d’un oubli salutaire, n’aille jusqu’à faire oublier à tout le monde la personne d’Ovide. Il est en défaveur et il est loin de Rome, ce qui ralentit les échanges épistolaires. Autant dire qu’il peut disparaître de la mémoire de ses compatriotes.
Aussi doit-il se rappeler au bon souvenir de ceux qui sont susceptibles d’œuvrer à l’amélioration de son sort ; c’est ce qu’il fait dans cette élégie adressée à l’un de ses meilleurs amis :

En tout cas, toi qu’un long commerce m’a rendu si proche,
            Toi que je regrette, peut-être, plus que tous,
Ne m’oublie pas, et si ton crédit peut être efficace,
            Tente, je t’en prie, quelque chose en ma faveur,
Pour que la colère du dieu que j’ai blessé se calme,
            Qu’il allège ma peine en m’exilant ailleurs.
Tristesses, III, 6, 19-24

C’est pourquoi Naso se réjouit quant il apprend que des passages des Métamorphoses donnent lieu à des représentations scéniques :

(…) tout ce qui peut empêcher qu’on m’oublie me convient,
            Tout ce qui fait parler de Naso, le banni.
Tristesses, V, 7, 29-30

Il faut donc, en attendant que l’entremise de ses amis porte ses fruits, en attendant que la colère de l’empereur retombe, il faut qu’il s’arme de patience. Il faut qu’il tue le temps.

Quelles étaient les occupations de Naso à Tomes ? Il ne nous en dit presque rien : à nous d’imaginer ce qu’elles ont pu être.
A titre personnel, je suis convaincu que s’il a écrit un ouvrage consacré aux poissons – les Halieutiques – c’est qu’il s’y connaissait en poissons, autrement dit qu’il pratiquait la pêche, et pourquoi pas avec quelque ami tomitain… Mais il n’en dit rien, et je n’ai aucun élément de preuve à apporter.
Ce qui est sûr, par contre, c’est qu’il va se consacrer à la poésie avec l’énergie du désespoir : elle sera sa planche de salut, et ce à deux titres.
La poésie va tout d’abord fournir à Ovide un dérivatif. Il le dit fréquemment, parfois sans s’appesantir :

Je demande à mes vers de me faire oublier mes maux ;
            Si j’y parviens en travaillant, je suis comblé.
Tristesses, V, 7, 67-68

D’autres fois en développant :

Les armes des peuples voisins résonnent alentour,
            Mais la poésie m’aide à supporter mon sort,
Et, sans avoir personne à qui faire entendre mes vers,
            Je passe ainsi mes jours, je trompe ainsi le temps.
Si donc je suis vivant, si je résiste à mes malheurs,
            Si cette vie troublée ne me répugne pas,
Merci à toi, Muse ! C’est toi qui viens me consoler,
            Apaiser mes soucis, me prodiguer tes soins.
Tu es mon guide, ma compagne et, emporté loin du
            Danube, me voici au cœur de l’Hélicon.[8]
Tristesses, IV, 10, 111-120

Mais la poésie, tout en permettant à Ovide d’échapper au moment présent, peut aussi lui garantir une survie glorieuse dans les siècles à venir. L’idée n’est pas nouvelle ; il s’agit même d’un lieu commun que l’on trouve, par exemple, chez Horace[9], que l’on retrouve chez Ovide lui-même, à la fin des Métamorphoses[10] et dans les Tristesses :

Après ma mort, ma renommé me survivra
Et tant que la Rome de Mars, victorieuse, verra
            De ses monts l’univers vaincu, je serai lu.
III, 7, 50-52 (à Périlla)[11]

Ovide semble toutefois penser que les poèmes qui lui permettront d’accéder à l’immortalité ne sont pas ses poèmes d’exil, lesquels visent un tout autre but :

L’exilé que je suis cherche le repos, non la gloire.
Tristesses, IV, 1, 3

Il le redit ailleurs, avec encore plus de clarté :

J’étais attiré jadis par l’éclat d’un nom fameux,
            Quand un vent favorable emportait mes antennes.
Je vais trop mal aujourd’hui pour m’inquiéter de la gloire ;
            S’il se pouvait, je voudrais être un inconnu.
Tristesses, V, 12, 39-42

Mais tout en déclarant qu’il ne recherche plus la gloire, tout en insistant sur la piètre qualité de sa production d’exilé, il laisse entendre, à l’occasion, que même ces poèmes-là peuvent conférer l’immortalité[12].
Ils peuvent, en particulier, la conférer à sa femme, restée à Rome pour y veiller sur ses intérêts et censée œuvrer à l’amélioration de son sort. Voici ce qu’Ovide dit à son propos :

Ô, mon épouse, qui m’es plus chère que moi, tu sais
            Combien d’attentions j’ai eues pour toi dans mes livres.
La fortune peut priver leur auteur de bien des choses,
            Tu seras néanmoins célèbre grâce à moi :
Qui me lira lira aussi ce qui fit ton renom ;
            Tu ne saurais périr entière dans les flammes.
Mon destin peut te valoir d’être jugée bien à plaindre ;
            Tu trouveras pourtant des femmes qui envient
Ton sort et qui, bien que tu aies ta part de mes malheurs,
            Estiment que tu es heureuse, et te jalousent.
Non, je ne t’aurais pas donné plus en te rendant riche :
            L’ombre du riche n’emporte rien chez ses Mânes.
Je t’ai fait don d’un nom qui ne périra pas ; tu tiens
            Là le plus beau présent que je pouvais te faire.
Tristesses, V, 12, 1-14

Chacun appréciera l’argument à sa juste valeur. Il n’en reste pas moins qu’Ovide dit explicitement qu’on peut, grâce à une mention dans les Tristesses, accéder à l’immortalité.
Si donc son épouse peut espérer accéder à l’immortalité grâce aux Tristesses, qui parlent d’elle, pourquoi Ovide, qui les a écrites, ne le pourrait-il pas ?...
Cette promotion par la poésie ne s’appliquera pas à ses amis, non que le principe cesse alors d’être efficace, mais pour une raison plus terre à terre : Ovide s’abstient de les nommer. En effet, s’il le faisait, le discrédit qui pèse sur lui les atteindrait par ricochet, chose qu’il veut bien sûr éviter. Il privilégie donc leur tranquillité dans le présent, au détriment de leur gloire dans l’avenir.
Qu’en sera-t-il pour l’empereur lui-même ? Le fait qu’il soit mentionné par Ovide dans ses Tristesses lui fera-t-il acquérir l’immortalité ? Eh bien non, tout simplement parce qu’Auguste l’a déjà acquise par lui-même du fait de la gloire d’ont il s’est couvert. Ovide le dit (II, 68) :

Mes vers n’ajoutent rien à ta gloire : pour qu’elle augmente,
            Il manque un échelon qu’elle puisse gravir.

Le cas de l’empereur permettra uniquement à Ovide d’adresser une flatterie à son bourreau, flatterie censée faciliter son retour en grâce…

                                   

Ovide, on le sait, ne revint pas de Tomes : la mort s’empara de lui en exil.
Il l’avait parfois appelée pour qu’elle mît un terme à ses souffrances :

Dieux, qui vous révélez trop invariablement hostiles,
            Qui faites vôtre la colère d’un seul dieu,
Hâtez, de grâce, un destin qui s’attarde, et refusez
            Que les portes de mon trépas restent fermées.
Tristesses, III, 2, 27-30

Dans mes malheurs, je n’ai qu’un espoir de consolation :
            Que la mort mette vite un  terme à tous mes maux.
Tristesses, IV, 6, 49-50

Mais il ne suffit pas de l’appeler pour qu’elle vienne…
Naso peut alors regretter qu’elle ne soit pas déjà venue :

                     Quand je vois ce pays, les mœurs
Des habitants, leurs tenues, leur jargon, et que je pense
            A qui je suis, à qui j’étais, j’ai tellement
Envie de mourir que j’en veux à César en colère
            De ne pas venger ses offenses par l’épée.
Tristesses, III, 8, 36-40

La mort vint en son temps, sans que l’on puisse dire si ce fut en 17 (comme on le soutient le plus souvent) ou en 18 ap. J.-C.
Mais rien ne prouve que ses cendres aient été rapatriées à Rome ; peut-être, comme il le redoutait, son âme erre-t-elle encore aujourd’hui du côté de la côte occidentale du Pont-Euxin, sur le rivage des Gètes :

Et puisse mon âme périr avec mon corps : que rien
            De mon être n’échappe au bûcher dévorant ;
Car si l’âme, ignorant la mort, vole dans les hauteurs
            Du ciel, si le vieillard de Samos a raison,
Mon ombre romaine errera par les ombres sarmates,
            Ombre étrangère, au milieu de mânes sauvages.
Tristesses, III, 3, 59-64

A supposer que tel soit le cas, il ne faut pourtant pas trop s’affliger : les descendants roumains des Gètes éprouvent pour Ovide une grande admiration, ce qui était d’ailleurs probablement le cas de leurs lointains ancêtres. Beaucoup de Roumains ont pour prénom Ovidiu, la ville de Constanţa – qui se nommait Tomes dans l’Antiquité –, a donné à son université le nom d’université Ovidius, et sur la place de la vieille ville – la piaţa Ovidiu –, devant le musée… archéologique se dresse fièrement la statue d’Ovide par Ettore Ferrari.


Elle porte sur sa base une inscription : il s’agit de l’épitaphe du poète. En voici la traduction :

« Ci-gît Naso, baladin des tendres amours, poète.
            Son génie l’a perdu mais, si tu as aimé,
Qui que tu sois, passant, n’hésite pas à demander
            Que le repos soit doux aux cendres de Naso. »
Tristesses, III, 3, 73-76

            Aussi vous proposerai-je de formuler à votre tour ce dernier vœu : « Que le repos soit doux aux cendres de Naso »...





[1] Contentons-nous de rappeler que deux motifs justifiaient la relégation d’Ovide : le fait qu’il ait écrit l’Art d’aimer, poème jugé moralement condamnable, et le fait qu’il ait profondément blessé l’empereur en assistant à une scène à laquelle il n’aurait pas dû assister. Vingt siècles d’histoire littéraire n’ont pas permis de déterminer de quelle scène il s’agit…
[2] De mi-novembre à début mars (conception courte) ou de mi-septembre à fin mai (conception langue). Cf. P. Pomey, L’art de la navigation dans l’Antiquité, 94-95 (http://www.persee.fr/doc/keryl_1275-6229_1997_act_7_1_962).
[3] Il navigua de Brindes à Cenchrées, sur le golfe Saronique, traversa l’isthme jusqu’à Corinthe, navigua entre Corinthe et la Thrace, passa par voie terrestre du nord de la mer Egée au sud-ouest de la mer Noire pour éviter les périls de la navigation par l’Hellespont, la Propontide et le Bosphore ; il finit en bateau en longeant la côte jusqu’à Tomes.
[4] Jacques André : « A son débouché dans cette mer [l’Adriatique], son vaisseau est assailli par les rafales de la Bora hivernale soufflant du N. E., qui le ramènent des côtes illyriennes jusqu’en vue de l’Italie » (op. cit. XX).
[5] Ovide renouvelle en Tristesses, III, 4b, 5 :
Au-delà, il fait si froid qu’on ne peut y habiter.
[6] La jeune Périlla, la protégée d’Ovide quand il était à Rome, n’y échappera pas non plus (Tristesses, III, 7, 33-38) :
A la longue, les années gâteront ton beau visage,
                Ton front vieilli aura la ride des vieux jours.
La vieillesse ravageuse avance à pas silencieux ;
                Elle mettra la main sur ta beauté. Tu te
Désoleras lorsqu’on dira de toi : « Elle était belle »,
                Et te plaindras que ton miroir soit un menteur.
[7] Il le redit ailleurs encore, sur le mode métaphorique : « Les blessures de jadis semblent fraîches à mon cœur » (IV, 1, 97) et « Les plaies qui devaient se fermer à la longue, à leur rythme,
                Me font souffrir comme feraient des plaies récentes » (Tristesses, V, 2a, 9-10).
[8] Cf. aussi Tristesses, IV, 1, 1-22
Si mes livres, lecteur, ont des défauts – et ils en ont –,
                Accorde-leur des circonstances atténuantes.
L’exilé que je suis cherche le repos, non la gloire,
                Et un dérivatif aux malheurs qui l’accablent.
C’est aussi pourquoi l’esclave entravé chante en bêchant :
                Quand il fredonne, il allège son dur labeur ;
Celui aussi qui hale un chaland à contre-courant
                Chante en s’arc-boutant des pieds dans le limon,
Et celui qui ramène à lui sa rame lente et frappe
                L’eau en cadence au rythme constant de ses bras.                                                   10
Fatigué, le berger s’appuie sur son bâton, s’assied
                Sur un rocher et charme ses brebis de son
Flûtiau. En cadence, elle chante et file, la fileuse,
                Sa quenouillée, trompant sa peine et l’oubliant.
On dit qu’Achille, attristé d’avoir perdu Briséis,
                Consola ses chagrins sur sa lyre hémonienne.
Quand Orphée déplaçait en chantant forêts et rochers,
                Il déplorait son épouse deux fois perdue.
La Muse me soulage aussi, en chemin pour le Pont
                Où je suis assigné, seule co-exilée,                                                                                 20
Seule à ne craindre, au milieu des embûches, ni l’épée
                D’un soldat, ni la mer, le vent, la barbarie.
[9] Dans son ode III, 30 (Exegi monumentum aere perennius. « J’ai achevé un monument plus durable que l’airain… »).
[10] L’œuvre que voici, ni la colère de Jupiter,
Ni le feu, le fer, le temps rongeur ne la détruiront.
Vienne, quand il le voudra, le jour qui n’a prise que
Sur mon corps, qu’il boucle le cours incertain de ma vie.
Le meilleur de moi me fera m’élever, immortel,
Par-delà les hauteurs des astres ; mon nom perdurera.
Là où Rome étend son pouvoir, sur les terres soumises,
Je serai sur toutes les lèvres ; par mon renom, toujours,
Si le présage d’un poète dit vrai, je vivrai… (Métamorphoses, XV, 871-879)
[11] Cf. aussi Tristesses, III, 3, 77-80
Cette épitaphe suffira, car j’ai un monument
                Plus durable et plus grand : il s’agit de mes livres ;
Et je suis convaincu, bien qu’ils m’aient nui, qu’ils donneront
                A leur auteur une éternelle renommée.
[12] Se rappeler qu’Ovide considère des les Amores I, 15 que la poésie peut conférer la gloire, qqe soit le genre de poésie que l’on pratique ; pourquoi pas la poésie élégiaque d’inspiration autobiographique ?...

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